Paul Breitner, à demi Mao

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Voilà un des rares footballeurs à avoir dès le début de sa carrière affirmé sa singularité et son ancrage politiques. Paul Breitner débute à peine en pro au Bayern Munich quand il fait part de ses sympathies maoïstes. Bien avant de faire partie du gratin, ces déclarations le projettent sur le devant de la scène médiatique. Celles-ci sont allégrement reprises par les médias qui s’en délectent comme d’un chou gras. Provocation ? Dans un contexte de Guerre Froide, les déclarations de Breitner alimentaient les fantasmes journalistiques de l’époque. Etre maoïste dans les années 70, n’était pas si rare et une grande partie du prolétariat mondial luttait frontalement contre le capitalisme et l’impérialisme. Mais dans le milieu du foot, être un gauchiste équivalait déjà à être une sorte ovni. Il en fallut plus à Paul Breitner pour l’empêcher de devenir une star internationale qui jonglait sans soucis avec ses contradictions comme lors de sa signature au Real Madrid.

Jeunesse allemande

breitner-jeuneStar de l’équipe nationale de la R.F.A. à 23 ans, Breitner cultive alors l’art de ballader les journalistes qui ne savent pas toujours sur quel pied danser. Est-il le marxiste-léniniste qu’il prétend être ou un simple joyeux drille anti-conformiste et provocateur comme n’importe quelle rock star ? Certes il aime se référer à Karl Marx, Lénine ou Mao, mais il ne masque pas qu’il aime aussi le fric et les grosses voitures, tout comme s’afficher avec un gros Havane à la bouche. Un drôle de maoïste, quelque peu « spectaculaire-marchand » qui préfère la chemise ouverte et la chaîne-en-or-qui-brille à l’austère chemise à col-mao. Né en 1951 dans un petit bled de Bavière, il grandit comme beaucoup de jeunes ouest-allemands de cette époque qui, dans leurs années lycée et leurs années fac, expriment un franc rejet des valeurs conservatrices de la génération de leurs parents. Il faut dire qu’au sortir de la guerre beaucoup d’anciens partisans du régime d’Hitler, et autres aficionados nazis et nationalistes, continuent d’occuper des fonctions stratégiques dans les sphères de pouvoir, comme la justice ou la presse par exemple. Ces « vaincus » recyclent sans difficulté leur national-socialisme, devenu un brin encombrant, en un anti-communisme à toute épreuve. En 1961, l’Allemagne est divisée en deux et le Mur de Berlin vient d’être érigé. En pleine Guerre Froide, la situation particulière de la R.F.A. en fait alors un avant-poste de la lutte anticommuniste mondiale menée par les démocraties capitalistes occidentales.

Dans ce contexte, dès le milieu des années 60, une extrême-gauche active se structure, entre autre autour de l’APO (Opposition Extra-Parlementaire). Les facs, où un grand nombre d’étudiants sont gagnés à l’analyse marxiste, constituent le vivier de la contestation sociale. Contre la société allemande, mais aussi contre l’impérialisme occidental, incarné alors par la sale guerre que les américains mènent au Vietnam. De nombreuses manifestations tournent à l’émeute, comme de celle du 2 juin 1967 contre la venue du Shah d’Iran à Berlin-Ouest, lors de laquelle l’étudiant Benno Ohnesorg est tombé sous les balles de la police. Paul Breitner n’a pas encore 16 ans, mais en plus du football où il s’éclate au sein du petit club amateur de Freilassing, il commence à s’intéresser à la politique. Peu après, à l’université, il découvre le Petit Livre Rouge et les mobilisations. Mais il est à l’aube d’une carrière professionnelle. Ce qui, même si l’activisme l’avait tenté, l’éloigna d’emblée de quelque militantisme actif que ce soit.

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Manifestation à Berlin-Ouest contre la guerre au Vietnam, arborant les effigies de Che Guevara, Hô Chi Minh ou encore Rosa Luxemburg. 18 février 1968

En Italie, en France et en Allemagne, divers groupes politiques subversifs, libertaires ou situationnistes, apparaîssent. La jeunesse étudiante, mais aussi la classe ouvrière, sont en ébullition. Dans tout ce fourmillement qui anime le Berlin-Ouest des années 70, certains groupes, dont le plus célèbre est le groupe Baader-Meinhoff1 (ou Rote Arme Fraktion), vont choisir la voie de la lutte armée, avec la fin tragique qu’on connaît. C’est aussi le temps des hippies et des freaks, et parfois des émeutes sous acide. Dans le paysage ouest-allemand, déboulent les « Gammler » (littéralement les « chevelus »), sorte d’équivalent des beatniks, habités par l’anti-militarisme, l’internationalisme et l’anti-impérialisme. Paul Breitner, adoptera ce look, se laissant pousser la gouffa qui le rendit si reconnaissable, comme un complément des idées qu’il proclame. Cette coupe de cheveux pas vraiment disciplinaire lui vaut alors le surnom de « Der Afro », qu’on n’a pas besoin de traduire.

Débuts fracassants

breitner maoDe ce Paul Breitner d’extrême-gauche on retient surtout certaines déclarations, ou encore la célèbre photo où il pose sous un énorme portrait de Mao Tsé-Toung, lors de la promo de son livre cosigné avec Uli Hoeness et Udo Lattek peu avant le Mondial 74. Photo qui atteste de son goût prononcé pour la mise en scène. Alors qu’il étudie la philosophie et la psychologie, il va commencer sa carrière professionnelle à 19 ans. Outre à ses propres qualités, il doit ses débuts au coach Udo Lattek qui le fait venir en 1970 de l’ESV Freissaling, pour intégrer le Bayern Munich. Breitner fait partie de ces jeunes, avec Uli Hoeness et Rainer Zodel qu’Udo Lattek a intégré à l’effectif professionnel où ils côtoient les grands Franz Beckenbauer, Sepp Maier ou encore Gerd Muller. Ce sont des débuts éclairs qui vont propulser sur le devant de la scène celui qui sera aussi surnommé plus tard « le Kaiser Rouge », antithèse de l’autre « Kaiser », Beckenbauer. « J’étais jeune, intéressé par la politique comme mes camarades de l’université et chaud bouillant, raconte-t-il […] Ceux qui m’ont critiqué ne savent rien du socialisme. Quand je suis venu au Bayern pour signer mon premier contrat professionnel, poursuit-t-il, ma priorité était de gagner de l’argent pour financer mes études en pédagogie, pas de m’en mettre plein les poches. »

Le journal Die Zeit raconte comment le joueur s’amusait avec les médias: «A l’âge de 20 ans, Paul Breitner réagissait aux stupides questions des journalistes par des réponses un brin provocatrices. Qui admirez-vous le plus? Mao! Que lisez-vous en ce moment? Marx! Quel est votre plus grand souhait? La défaite des Américains au Vietnam!» Le journal n’a pas l’air de penser que tout cela fut très sérieux. Les journalistes étaient là bien embêtés, ils tenaient un « bon client », excellent joueur, et en même temps un disciple assumé de plusieurs « épées » du marxisme. Alors, il est possible qu’ils lui aient laissé le bénéfice de la provoc pour continuer de se délecter de ses sorties médiatiques. Mais sa rebellion n’était pas tant un rôle qu’il jouait. Elle s’inscrivait, au moins dans ses premières années pro, sur un rejet réel du colonialisme et de l’impérialisme.

En 2011, il confia au journal Bild un de ses mémorable faits d’arme. Jeune footballeur pro, il cherchait à tout prix à esquiver le service militaire. Simple réaction de bon sens. C’est quasi cerné qu’il finit par céder : «Je partageais un appartement avec Uli Hoeness. A 2 h du matin, la police militaire a sonné. Et tandis qu’Uli les baratinait sur le pas de la porte, je m’étais précipité à la cave pour m’y planquer. Cela dura quelques nuits. Finalement, ils prévinrent qu’ils allaient afficher des avis de recherche me concernant et qu’à partir de là je pourrais me faire arrêter même en marchant dans la rue, alors j’ai fini par me rendre à la caserne».

A quel maoïste se vouer ?

BreitnerCruyffDans une interview donnée en 2011 au journal As, il tint à replacer son maoïsme dans de plus justes proportions: «A 19 ans j’ai participé à mon premier match international avec la sélection allemande on m’a demandé à moi ce qui m’intéressait dans la vie. J’ai répondu que j’étudiais la psychologie et la philosophie, que je lisais Lénine, Adenauer, De Gaulle et pas de problème. Mais quand j’ai pour la première fois dit que j’étais intéressé par ce que faisaient le Che ou Mao en Chine, les gens ont commencé à raconter que j’étais maoïste». Mais cette priorité fut assez vite éclipsée par son talent footballistique qui en fit un international très jeune, dès 1971. Propulsé au rang de star – le New-York en fit même le « nouvel héros de la contre-culture ouest-allemande » – il gagna beaucoup plus d’argent qu’il n’avait envisagé. Mais il était loin d’être dupe sur les préceptes économiques en vogue dans le monde du football, et déclarait « la Bundesliga est un gros business. Quasiment tout tourne autour de l’argent. Il n’y a pas de place pour le socialisme. Je suis censé garder mes idées privées vis-à-vis du public, mais mes amis savent que je suis resté la même personne. »

breitner madridTout juste Champion du Monde 74 et buteur lors de la finale, Breitner surprend ses fans en quittant le Bayern pour le Real Madrid. « Un rêve » selon ses propres termes. Un art du contre-pied, car le Real est un club qui est régulièrement assimilé au pouvoir central et à la couronne d’Espagne. Et puis, même si l’Espagne entame sa transition après 35 ans de dictature, le club est encore entre les mains d’un fidèle de Franco, Santiago Bernabeu, un bourgeois nationaliste, président depuis 1943. Bizarre d’imaginer un joueur au bagoût socialiste rejoindre cette équipe. Pire encore aujourd’hui, Paul Breitner ne tarit pas d’éloges à propos de Bernabeu. Le maoïste est indulgent. Son rêve madrilène l’a visiblement marqué à vie. La passion du ballon, quand on en vit, porte son lot de sentiments complexes, et lors de son passage au Real, Breitner a tissé un lien indéfectible avec la ville et l’institution merengue. Mais croire qu’en signant au Real, Paul Breitner aurait changé de bord, eut été faire peu de cas de ses convictions. Il n’hésita pas pas un seul instant à se solidariser des métallurgistes de l’usine Standard de Madrid, lors des grandes grèves de la fin de l’année 74 et à soutenir financièrement leurs familles. La direction du club madrilène goutta assez peu cette solidarité, mais son talent permit à Paul Breitner de maintenir sa popularité intacte.

Contre-pied, provocation, dribbles, à croire que Paul Breitner utilise en-dehors du terrain le même type de mouvements qui en font quelqu’un d’assez dur à cerner. Surprenant et contradictoire, comme quand il continue de reconnaître l’influence qu’ont eu dans sa construction d’homme les citations du président Mao, et tourner dans des spots publicitaires pour MacDo ou Gilette.

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Notes:

1 Du nom d’Alexandre Baader et Ulrike Meinhof membres éminents de la RAF. La “Bande à Baader” a été écrasée sans pitié par l’Etat. Arrêtés en 1972, les principaux membres du groupe durent alors faire face à un régime de détention extrêmement dur, recourrant à la torture par l’isolement sensoriel, appelée la «torture blanche» sur laquelle Ulrike Meinhof tenta de mettre des mots: « ‘le sentiment que ta tête explose’, ‘on ne peut pas expliquer si l’on tremble de fièvre ou de froid – on gèle’, ‘on ne peut plus identifier la signification des mots, seulement deviner – l’utilisation de lettres en sch (ch,. ss, z, s) est absolument insupportable’, ‘la construction de la phrase, la grammaire, la syntaxe, on ne contrôle plus rien’, ‘le sentiment qu’on t’a enlevé la peau’  ». Parmi les fondateurs de la RAF qui connurent un fin tragique: Holger Meins mourrut après 59 jours de sa troisième grève de la faim en 1974; Ulrike Meinhof fut assassinée dans sa cellule en 1976, assassinat grossièrement maquillé en suicide; Andreas Baader, Jan-Carl Raspe et Gudrun Ensslin furent éxécutés dans leurs cellules de la prison de Stammheim.

Pour aller plus loin, lire RAF, Guerilla urbaine en Europe occidentale, d’Anne Steiner et Loïc Debray / A propos du procès Baader-Meinhof, de Klaus Croissant / ou voir la chronologie exhaustive du site du Secours Rouge.

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A retrouver sur Les Cahiers d’Oncle Fredho la série L’aile gauche: les sportifs révolutionnaires – N°1 – Paolo Sollier.

Nicht mehr nackt zu feiern brauchen die beiden Fußballer des 1. FC Bayern München, Uli Hoeneß (l) und Paul Breitner. Aufnahme vom 5.6.1973. Nach der Vorführung von Bademoden eines Münchner Herrenausstatters bekamen sie die elegantesten Modelle geschenkt. Pressefotos von der Badeparty nach einer Meisterschaftsfeier des FC Bayern München hatten vor einem Monat viel Staub aufgewirbelt.

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