Paolo Sollier, le footballeur-ouvrier

paolo_sollier_leftFootballeur et militant révolutionnaire, ce n’est pas banal. Dans les années 70, il y eut quelques ovnis de ce genre. Pour commencer une série de portraits, nous avons choisi un personnage assez méconnu en France. Paolo Sollier est un joueur italien qui a traversé les seventies transalpines au plus près du contexte social explosif de ces années. Il fut confronté à la contradiction entre l’idéal d’une révolution prolétarienne et le football professionnel. Il préféra même rétrograder dans les divisions inférieures. Sollier, qui a grandit dans un quartier populaire de Turin, connaît cette Italie du Nord, et ses usines devenues le théâtre d’une lutte des classes qui se libèrait de la tutelle de l’archaïque Parti Communiste, dans le sillage du courant opéraiste qui se développe à grande vitesse au cœur des usines et y prône l’autonomie et l’insubordination. C’est d’ailleurs à l’usine que Paolo Sollier se familiarisera avec ce courant du marxisme théorisé par Toni Negri et Mario Tronti. Plus qu’un simple sympathisant, il participera activement au groupe Avanguardia Operaia.

Ci-dessous la traduction assez libre d’un article repris sur le site LoQueSomos, intitulé Paolo Sollier: el futbolista « a la iziquierda de Dios ».

Avanguardia_Operaia

A la fin des années 60, l’Italie connaissait une situation quasi révolutionnaire. Les ouvriers occupaient les usines, les femmes s’auto-organisaient, des groupes gauchistes de toutes sortes émergeaient – et donnaient un sacré coup de jeune au communisme traditionnel qu’ils dépoussiéraient – comme l’opéraisme des Cuaderni Rossi ou le culturalisme des Cuaderni Piacentini. Hormis les usines, la remise en question de l’ordre capitaliste atteignait tous les domaines de la société:  sexualité, esthétique et bien sûr le football, espace incontournable de socialisation pour la « communauté des prolétaires ». On dit qu’Enrico Berlinguer, le secrétaire général du Parti Communiste Italien (PCI), avait l’habitude d’interrompre les réunions du comité central du parti pour regarder les matchs de la sélection italienne, la Squadra Azzura, prétextant qu’il voulait garder le contact avec la classe ouvrière. Palmiro Togliatti, Luciano Lama (secrétaire général du principal syndicat du pays, la CGIL) et Berlinguer en personne se déclaraient supporters de la Juventus de Turin, le club de la FIAT et donc de l’une des principales familles bourgeoises italiennes, la famille Agnelli. Berlinguer ironisait à propos de cela en disant que c’était là «la seule chose qu’il avait en commun avec les Agnelli».

Paolo Sollier avait lui aussi un lien avec l’industrie automobile, mais plutôt du point de vue des chaînes de montage, celui des ouvriers. Né en 1948, il travailla pendant 8 mois à la Fiat Mirafiori, en 1969. C’est à dire en plein dans la période qu’on a appelée « l’automne chaud »1, moment où la lutte des classes connaît une intensité maximale en Italie. L’effervescence et la rébellion sociales menaçaient l’ordre dominant par la multiplications des grèves sauvages, des sabotages et des affrontements violents avec la police. Et les poches d’auto-organisation à la base, comme les Comités Unitaires de Base, un outil au service des travailleurs pour gérer eux-mêmes leurs revendications, se généralisaient.

A cette époque, Paolo Sollier, la vingtaine, jouait à Cinzano, un modeste club amateur. Sollier a toujours considéré le football comme un phénomène rattaché à part entière à l’identité ouvrière: «J’ai toujours travaillé et joué au football. J’arrivais dans le vestiaire, j’enfilais mon maillot et mes crampons et j’entrais dans un autre monde. Le quotidien restait à l’extérieur. Puis je me changeais de nouveau, je saluais tout le monde et je retrouvais ma vie. J’ai commencé jeune à effectuer des travaux sociaux dans mon quartier, la Vanchiglia (alors quartier ouvrier de Turin), au sein de l’association catholique Mani Tese. Nous étions bénévoles. En grandissant je me suis rapproché de la gauche et de l’organisation Democrazia Proletaria».

sollier pugnoEntre 1969 et 1974, il évolue au club de Cossatese puis au Pro Vercelli, deux équipes de Série C. La qualité de ses performances au milieu de terrain attire l’attention de Pérouse qui le recrute à l’issue de la saison 73/74. Il s’avère être l’un des moteurs de l’accession de cet humble club de Série B en Série A. Durant cette période Paolo Sollier s’implique plus dans la militance politique. Il intègre Avanguardia Operaia un groupe issu de la gauche extraparlementaire italienne qui ira jusqu’à compter 15 000 membres. Impulsé à l’origine par des militants trotskystes de la Quatrième Internationale en Italie, cette organisation se développe à partir des luttes au sein des usines et se réfère à l’opéraisme en vogue à cette époque. Plus tard, en 1975, en compagnie d’autres groupes politiques dont Lotta Continua, ils forment la coalition électorale Democrazia Proletaria qui parvint à obtenir des élus au Parlement. Dans l’entourage de Paolo Sollier on retrouve d’autres footballeurs engagés à gauche à cette époque: «A Pérouse, Raffaelli venait d’une famille liée au Parti Communiste. D’autres étaient des sympathisants de la gauche radicale: Blangero, Pagliari, Codogno, Ratti, Galasso, Montessi. En 1974 ou 1975, je ne souviens plus, on avait même organisé une ou deux réunions pour essayer de créer quelque chose de nouveau».

Les photos de lui en train de feuilleter Il Manifesto (principal journal du communisme non-officiel) ou encore le Quotidiani dei Lavoratori (journal d’Avanguardia Operaia), son look de beatnik et son salut le poing levé lui attirèrent beaucoup de sympathie parmi les supporters qui chantaient ses louanges, mais aussi de profondes haines, notamment de la part des ultras de la Lazio. Paolo Sollier n’a d’ailleurs jamais mâché ses mots au moment de parler d’eux: « Il n’est pas approprié de parler de fans de la Lazio. Il vaut mieux parler des fascistes de la Lazio. De la racaille de merde. Ces bâtards m’ont crié dessus « Sollier bourreau ! », tout en faisant le salut fasciste. Je suis entré dans le stade tranquillement. Si j’avais levé le poing, ils auraient réussi à attirer l’attention sur leurs insultes. J’avais peur, je tremblais. A ce moment-là, j’aurais aimé avoir un fusil pour tous les tuer ».

Paolo Sollier ne tint finalement pas trop longtemps en Série A, où il joua 21 matchs comme titulaire, 51 en tout. Il revient en Série B, de 1976 à 1979, à Rimini, où il se montre de plus en plus intéressé par la photographie ou la poésie plutôt que par un football qui se vide de sa substance populaire à mesure qu’il se professionnalise. Plus tard, il poursuivra sa carrière dans différents clubs amateurs et ce jusqu’à sa retraite en 1985. La seconde moitié des années 70 est marquée par le reflux du mouvement ouvrier et par un affaiblissement de la dynamique politique dans plusieurs secteurs de la société. Sollier se rappelle que seuls quelques footballeurs comme Gianni Rivera gardèrent un intérêt pour la politique, bien que ce ne fut pas précisément par le prisme révolutionnaire puisque Rivera fut durant la deuxième partie des années 80 élu député sous l’étiquette de la Démocratie Chrétienne, puis plus tard il devient même sous-secrétaire d’Etat à la Défense dans le premier gouvernement de Romano Prodi.

Les temps étaient en train de changer comme on dit: l’idée de révolution s’éloignait des masses populaires qui se prirent en pleines dents l’entrée dans l’ère de la déconstruction néolibérale, dont les fameuses têtes de gondole sont Thatcher et Reagan, portant la prétendue fin des idéologies libertaires et prévoyant d’en finir définitivement avec les rêves de solidarité et de justice sociale. Beaucoup des acteurs de cette époque renièrent leur passé révolutionnaire (les mêmes qui aujourd’hui assistent perplexes au désastre provoqué par la voracité capitaliste), mais ce ne fut pas le cas de Paolo Sollier, lequel, même s’il a abandonné l’action militante, il ne mis jamais de côté ses idées ni sa passion pour le football de base. Il gagne sa vie en entraînant dans les catégories inférieures, ou encore en écrivant dans des revues ou journaux comme Reporter, Tuttosport ou Micromega, en plus d’être depuis 2005 président de l’Association des Ecrivains du football.

Interrogé à propos de cette époque, il explique que selon lui ce fut une occasion manquée de changer les choses. L’historiographie officielle ne le convainc guère: «On dirait que dans les années 60-70 il y eut seulement des idiots qui passèrent au terrorisme, prirent les armes et tirèrent. On cherche à cacher tout le reste. Comment ils contribuèrent au progrès de l’Italie est consciemment éludé. Je pense au féminisme, à l’écologie, aux droits civiles, au mouvement ouvrier, tous produits de cette époque».

1 « L’automne chaud » part de l’usine de la Fiat Mirafiori à Turin au mois de mai 1969. Partie de quelques milliers d’ouvriers qualifiés, la grève s’étend en quelques jours au reste du site. Pour l’année 69, le bilan des luttes à la Fiat laisse rêveur : 20 millions d’heures de grève et près de 277 000 véhicules perdus. L’automne chaud ne touche pas que le nord industriel de l’Italie, mais tout le pays. Nous somme alors au début du « Mai rampant » sorte de Mai 68 italien qui dure près de dix ans, jusqu’en 1977.

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* La plupart des citations de l’article sont tirées du livre co-écrit par Paolo Sollier “Calci e sputi e colpi di testa”

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A retrouver sur Les Cahiers d’Oncle Fredho la série L’aile gauche: les sportifs révolutionnaires – N°1 – Paolo Sollier.

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