Ils ont gagné, et puis après ? ★ Décrassage Juillet 2018 ★

Retrouvez-nous sur Dialectik Football

#Décrassage n°2 – Spécial « équipe de France ». Au fur et à mesure que l’équipe de France avançait dans la compétition, l’angoisse face au déferlement patriotique festif s’amplifiait. Au point d’adopter une posture défaitiste – héritage involontaire des bolcheviques. En d’autres termes, souhaiter que la France perde, le plus vite possible. L’idée d’écrire – après avoir abordé le nationalisme croate – sur ce patriotisme français, et ses spécificités, a été surtout motivée par l’espèce de confusion générale, coincée entre une liesse patriotique étonnament consensuelle et les gros sabots de la récupération politicienne. Les angles de critique ne manquent pas. La fièvre bleu blanc rouge aurait pu se prolonger, mais heureusement, un certain Alexandre Benalla a mis fin à cette mascarade. C’est partiel, très partial, parfois décousu, mais voilà de quoi on a envie de jacter.

Ce n’est pas « que du foot » : les Bleus au service de l’union nationale.

« Magnifique moment d’union et de communion nationale », a commenté le patron de la République en Marche (LaREM) au Sénat, François Patriat – le bien nommé. Ce n’est pas anodin. Le football est un instrument solide pour les gouvernants. Et les équipes nationales, surtout lorsqu’elles gagnent, sont de parfaites ambassadrices des politiques menées au sommet des États. C’est un classique. Les Bleus ont porté haut les couleurs d’un pays en guerre à l’extérieur – intervention impérialiste au Mali, guerre contre Daesh – tandis qu’à l’intérieur de ses frontières, elle entend flexibiliser l’exploitation au service des patrons et mater toute contestation sociale – Loi Travail etc. Pour légitimer tout ça, les gouvernants invoquent l’union nationale, et l’exaltation du sentiment patriotique. Quelque soit le pays, le sport devient un terrain pratique pour exhiber les symboles identitaires et nationaux – drapeau, hymne etc. – de façon débridée, sans avoir l’air d’un lepéniste guerrier. Pour certains, le souvenir encore frais du carnage djihadiste du Bataclan, le 13 novembre 2015 – dernier moment qui a réuni les français en nombre, toute origine et classe sociale confondues – trouve dans la victoire des Bleus son pendant festif, tombant à pic. L’historien Yvan Gastaut ne dit pas autre chose. « Les attentats nous obligent à nous souder face à l’adversité tandis qu’avec le foot, c’est léger et superficiel, mais joyeux. Et cette séquence positive a son importance ». Positive pour qui ? Laura Flessel, Ministre des Sports, reconnaît aux Bleus d’avoir réveillé une fibre patriotique, « on a besoin de ça aujourd’hui », ajoute-t-elle. Le pouvoir seul, a besoin à cette profusion de patriotisme. « On est fier de pouvoir rendre les français heureux. On est conscient que l’on avait ce rôle-là aussi. Rendre heureux les Français et qu’ils oublient leurs problèmes. » Parole de Mbappé. Les joueurs recevront la Légion d’Honneur, pour service rendu à la nation.

*Laura Flessel: la Coupe du Monde « réveille une fibre patriotique et on a besoin de ça » (Europe1.fr) *Pourquoi l’union nationale autour des Bleus est d’autant plus joyeuse qu’en 98 (Mashable.France24.com) *Les Bleus vont recevoir la Légion d’Honneur (SoFoot.com) *« Le foot créé du nationalisme festif » (L’Express.fr) *Mondial 2018: quand la fête vire au nationalisme, au racisme et à la xénophobie (TheConversation.com) *Un effet « Coupe du Monde » réel sur le patriotisme, plus léger sur le moral des Français (Elabe.fr)

Mbappé, Griezmann, Pogba et le patriotisme sans filet

Effacer Knysna de la mémoire collective et tourner la page de France 98, ne tient pas seulement à la victoire sur le plan sportif. Les joueurs de l’équipe et ses trois stars – Kyllian Mbappé, Antoine Griezmann et Paul Pogba – en particulier, ont réalisé un « sans faute » sur le plan de l’image. Celle-ci a tourné autour d’une « fierté d’être français », répétée comme un mantra. Ce patriotisme sans filet colore cette victoire, et explique l’unanimité – de l’extrême-gauche à l’extrême-droite – derrière l’équipe de Deschamps. Ce ne sont sûrement pas les attaques racistes venues de rares médias étrangers qui peuvent ébranler l’édifice. L’équipe de France est mise en avant comme un élément clé de l’unité républicaine. Les joueurs ont mis dans leur poche jusqu’aux ultra-conservateurs et autres gros réactionnaires comme Goldnadel qui n’a pas manqué d’en faire l’éloge. « D’une certaine manière, l’équipe précédente aura servi d’antimodèle. Adieu l’ancien monde des Ribéry, des Anelka et des Benzema. Bienvenue au nouveau monde des Griezmann , des Mbappé et des Kanté […] Ils connaissent la Marseillaise par cœur et la chantent avec allégresse, ils disent leur fierté d’être français. Difficile de ne pas constater que les critiques qui ont été faites de leurs peu glorieux prédécesseurs ont porté leurs fruits et que ceux-ci sont beaux. » Une grille d’analyse « intégrationniste » qui utilise à souhait ces Bleus, devenus « des modèles d’intégration » pour mieux dézinguer cette jeunesse qui a eu un rapport un peu trop émeutier aux festivités. Celle-ci, qui porte sur son dos la pancarte de la racaille honnie, justifierait alors la plus grande sévérité de l’État policier. Mbappé, Pogba, Griezmann et les autres, sont des modèles intouchables pour des millions de jeunes des quartiers prolétaires. Ils ne crieront jamais « C’est de la racaille ? Eh bien j’en suis ! », mais « Vive la France ! ». Faisant partie des « élus », ils ont choisi leur camp.

*L’élan patriotique d’Antoine Griezmann… (Huffington Post) *Quand les Bleus entonnent la Marseillaise sur le perron de l’Elysée (SoFoot.com) *La victoire d’une France patriote (LeFigaro.fr) *Les Bleus au carrefour des questionnements identitaires (LesEchos.fr) *Les Bleus face à des commentaires racistes venus de l’étranger (RTL.fr)

Macron, la récupération était presque parfaite

Le récit était ficelé. Un passage à Clairefontaine pour encourager l’équipe avec une punchline de winner « une compétition réussie, c’est une compétition gagnée ». Un rendez-vous donné dans le dernier carré du Mondial russe. Et Macron confiait une mission à l’équipe de France. Celle-ci a répondu aux attentes politiques et à l’ambition présidentielle de voir la France « de retour sur le devant de la scène internationale ». Une image renforcée. Sans compter que cette liesse populaire autour des Bleus, ce « nationalisme festif », exprime rarement des moments de solidarité collective, mais plus une affirmation de l’individualisme ambiant. Une liesse en parfaite harmonie – en tous cas parfaitement inoffensive – avec les préceptes libéraux de Macron et sa cour. Il allait pouvoir, subodorait-il, bénéficier d’une précieuse immunité pour piétiner encore plus les conditions d’existence et les droits sociaux des exploités. Les marchés, comme on dit, allaient apprécier. La consommation des Français, en être stimulée. Et le maillot frappé des deux étoiles, être en rupture de stock. Jackpot pour Nike. Pensant surfer au maximum sur la vague soulevée par les Bleus, Macron en a fait des caisses dans une stratégie de communication quadrillée, alliant l’hyper présence à la volonté de ne pas être vu en flagrant délit de récupération. Pas de bol, ça s’est vu. Mais surtout, la tornade de « l’affaire Benalla » a éclipsé tout ça au bout de trois jours. Ça ne vaut pas une prise de Palais d’Hiver, mais ça a permis d’économiser quelques jours de triomphalisme macronien télévisé.

*«Yes sir! » Macron laisse les Bleus faire sa com’ (Libération.fr) *La victoire des Bleus, quel impact sur la croissance française (LeFigaro.fr) *Macron et Poutine capitalisent sur le Mondial 2018 (France24.com) *Economie, sponsors, FFF… Les autres gagnants du Mondial 2018 (France24.com) *« Avec cette victoire, la France est de retour » (Iris-France) *Carton plein pour Macron et la France (Capital.fr) *Vu du Royaume-Uni. La récupération politique des Bleus, une tradition périlleuse (CourrierInternational.com) *L’affaire Benalla a gaché la victoire des Bleus (Slate.fr)

Une liesse populaire tout en bleu blanc rouge : quand l’extrême-gauche relativise

Si la grossière récupération macronienne de la victoire a été étrillée par une partie de la gauche, la liesse patriotique a été largement relativisée au nom de festivités qui ont réuni les gens au-delà de leurs origines. Une étonnante bienveillance de la part de l’extrême-gauche. Pourquoi ce consensus autour de l’équipe et de ses supporters ? A part un opportunisme grossier, on ne voit pas. Que la France Insoumise ou le Parti Communiste Français, incarnant la gauche franchouillarde, y trouve un terrain propice à l’expression de son patriotisme, rien de surprenant. Mais pour la « gauche de la gauche », ça fait un peu plus tache. Philippe Poutou, ouvrier connu en tant que candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste aux élections présidentielles, fut un des très rare à mettre un coup de pied dans la fourmilière, ironisant sur la capacité de la population à descendre dans la rue pour fêter une victoire plutôt que pour lutter contre les réformes anti-sociales du gouvernement. Volée de bois vert sur les réseaux sociaux. Le site de son parti complète en précisant qu’il ne confond pas « l’authentique enthousiasme, aux causes multiples, qui a pu gagner des centaines de milliers de personnes à l’occasion de la victoire de l’équipe de France, et les manœuvres grossières des récupérateurs en tout genre ». Puis relativise, « Comment ne pas voir que dans une société minée par la violence et la peur de l’avenir, les occasions de faire la fête et d’oublier les soucis du quotidien sont rares, et d’autant plus investies ? » De quoi a peur le NPA ? Qu’on le taxe de « mépris de classe » ? Argument dégainé en quatrième vitesse quand on fustige cette liesse populaire, enroulée dans un drapeau français. Quand bien même d’aucuns y ont trouvé un moyen de revivre à moindre frais les émotions du cortège de tête, il ne faut pas confondre le peuple avec la classe. On peut aimer le foot et, plutôt que « Mbappé président ! », crier « A bas le foot des nations ! »

*Les Bleus champions du Monde, simple moment de bonheur fraternel et c’est déjà beaucoup (Bondy Blog) *Victoire de l’équipe de France et récupération bourgeoise (UEC.Strasbourg.over-blog) *Poème. Allez les Bleus! (Révolution Permanente) *Poutou, grincheux officiel du Mondial (Libération.fr) *Les Che Guevara du web s’agitent (Le Comptoir) *Rien à foot? (NPA2009.org) *La joie et la rage mêlées sur les Champs-Elysées (Paris-Luttes.Info) *La finale de la Coupe du Monde de football à Montpellier (Scalp34.wordpress.com) *Des commerçants évaluent les dégâts sur les Champs-Elysées (LeFigaro.fr)

 

Marxisme et footix

« Les employé-es et ouvrier-es sont donc les seuls créateurs de la valeur d’un bien, seulement, la somme sur le chèque en fin de mois ne correspond pas à la valeur marchande produite. Au delà du travail nécessaire pour satisfaire ses propres besoins et envies, le sur-travail est une création de valeur faite gratis, récupérée par le possesseur du capital dans ce qu’on appelle la plus-value. » ( Bad Kids, Disquette de l’économie n°3: Valeur & Prix)

Équipementier de la Croatie et de la France, Nike allait gagner la finale à tous les coups. Un pays vainqueur du Mondial ajoute une étoile sur son maillot officiel. Pour les équipementiers, il s’agit d’une aubaine pour lancer une nouvelle gamme de maillots et la commercialiser à grande échelle. Etre champions du monde, ne peut arriver qu’une fois tous les quatre ans. La course a commencé au lendemain de la finale. Le maillot en question sera produit dans le nord-est de la Thaïlande, là où les « coûts de production », c’est à dire principalement les salaires des ouvriers et ouvrières, sont les moins chers. C’est sur leur dos que Nike se remplit les poches. L’arrivée en France du nouveau maillot  est prévue pour la mi-août, après trois semaines de voyage par container, comme 90 % des marchandises mondiales. L’occasion pour certains médias bourgeois de redécouvrir le mécanisme de la plus-value, un peu gênés par la différence entre le prix de vente du maillot – 140 euro – et son coût de fabrication – 3 euro. Ils peuvent se rassurer en disant que 63 % du prix est « absorbé » par la distribution, 16 % revenant à l’équipementier et 4,5 % à la FFF. En effet, d’autres capitalistes vont prendre leur part au cours du circuit effectué par les  nouveaux maillots des Bleus. Les seuls qui ne vont rien en tirer, ce sont celles et ceux qui l’auront fabriqué.

*Les maillots de l’équipe de France vendus 140€ sont produits pour 3€ en Thaïlande (Révolution Permanente) *Le maillot de l’équipe de France à deux étoiles coûte moins de 3€ à produire en Thaïlande (LeJDD.fr)

★L’humeur coubertine de Franck Leboeuf

Reconverti consultant auprès des médias RMC et BFM, Franck Leboeuf imprime sa patte, comme lorsqu’il « interpelle » les politiciens pour leur rappeler qu’il faut qu’ils se servent du sport, « vecteur d’union sacrée dans la population ». Ils le savent très bien, Franck. Mais là où il s’est un peu plus hasardé durant ce Mondial russe, c’est avant le 1/4 de finale contre l’Uruguay. Il s’est laissé glisser dans une analyse historico-politique pour le moins frelatée faisant référence à la puissance guerrière de la France« il me semble qu’on est aussi parti en guerre partout, qu’on était capable d’être des guerriers ». A la manière de ces nostalgiques qui refusent de rejeter l’histoire coloniale, Leboeuf pleurniche « on a l’impression qu’on a plus le droit d’être en accord avec les valeurs de son pays , même de son passé », louant au passage « cette force mentale qui a permis à certains pays ou à certaines personnes d’aller dans d‘autres pays. » Sous-entendez ce que vous voulez, ce type de lecture est dans la lignée de la philosophie colonialiste du baron de Coubertin quand il s’adressait à de jeunes footballeurs avec emphase « Je voudrais que vous ayez l’ambition de découvrir une Amérique, de coloniser un Tonkin et de prendre un Tombouctou. Le football est l’avant-propos de toutes ces choses […] C’est l’éducation du  «va de l’avant » ». Quand on veut faire des parallèles…

*CdM 2018: Franck Leboeuf interpelle les politiques (FootMercato.net) *Pour battre l’Uruguay, Franck Leboeuf en appelle aux valeurs guerrières et coloniales de la France (Révolution Permanente) *Paris 2024: on emmerde l’esprit Coubertin! (19h17.info)

★Chevaliers au service de la marchandise

Alors qu’ils ne touchent aucun pourcentage sur ce merchandising florissant, des individus présentés comme des fans du PSG, se sont physiquement opposés au pillage de la boutique du club, lors des festivités célébrant la victoire française, sur les Champs-Elysées. Un service de sécurité gratuit doublé d’un acte de citoyennisme zélé. Tout ça pour l’amour de leur club et de ses recettes marketting. Mais quel intérêt pouvaient-ils bien avoir à s’opposer à cette petite autoréduction? Qu’ils se rassurent, la marchandise et les vitrines de la boutique sont assurées bien comme il faut. Certains des leurs le savent bien, une semaine plus tôt, ils vandalisaient la vitrine d’une boutique mettant en avant les équipements de l’OM, rue Rivoli.

*Des ultras du PSG ont défendu la boutique du club face à des casseurs (ParisFans.fr) *Des ultras protègent la boutique du PSG sur les Champs (SoFoot.fr) *Des ultras du PSG vandalisent une boutique affichant des maillots de l’OM (Europe1.fr)

★La question tactique posée par ce Mondial 2018

Réponse sur les Cahiers du Football

2 réflexions au sujet de « Ils ont gagné, et puis après ? ★ Décrassage Juillet 2018 ★ »

Laisser un commentaire