25 mars 1997: Robbie Fowler affiche son soutien aux dockers de Liverpool.

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Coupe des coupes 97: Liverpool – Brann Bergen.

Robbie Fowler, avant-centre de l’équipe de Liverpool vient de marquer un but lors de ce quart de final de coupe d’Europe. Au moment de célébrer son but il exhibe un tee-shirt qu’il porte sous son maillot. Dessus, un message de solidarité est inscrit avec « les 500 dockers virés depuis 1995».

Robbie Fowler est un enfant de la ville. Il vient de Toxteth un quartier prolo dont le nom évoque les célèbres émeutes de 1981 dirigées contre la police et le harcèlement quotidien qu’elle réservait aux jeunes prolétaires noirs. Sa ville, son club, ses supporters dont nombre d’ouvriers et de dockers qui oeuvrent sur les quais de la Mersey, il lui est inconcevable de s’en dissocier au nom de la soit-disant neutralité du football. Au contraire, il veut faire profiter de l’exposition des matchs de son équipe, à une grève que le pouvoir méprise.

Ce geste symbolique de solidarité fut immédiatement sanctionné par l’UEFA dont le comité de discipline s’est réuni en urgence. On lui rappelle qu’il est «une règle stricte qu’un terrain de football n’est pas le bon endroit pour des démonstrations de nature politique». Robbie Fowler sera même condamné à une amende pour son geste. Interviewé quelques années plus tard par So Foot, Robbie Fowler confiera n’avoir aucun regret: «À la base, il était prévu de garder le maillot tout au long du match pour montrer le tee-shirt à la fin, mais j’ai marqué, alors je l’ai enlevé. J’ai été sanctionné par la fédé, mais je n’ai aucun regret. Ça n’a peut-être pas aidé les dockers sur le long terme, mais ça a mis un gros coup de projecteur sur leurs problèmes. Le retentissement a été extraordinaire, ça a fait du bruit au niveau mondial, alors que jusqu’alors, ils avaient du mal à se faire entendre ne serait-ce qu’à Liverpool. À mon avis, quand on a, comme footballeur, la chance d’être exposé médiatiquement, c’est un peu notre rôle de donner ce genre de coup de pouce.»

Son coéquipier Steeve McManaman, originaire lui du quartier ouvrier de Bootle, et aussi porteur de ce tee-shirt sous son maillot, expliqua lui: « Tout ce qu’on voulait, c’était donner un coup de main aux personnes qu’on connaît et qui ne reçoivent aucune paie. Robbie et moi avons offert notre soutien aux dockers, mais nous ne sommes pas assez arrogants pour croire que porter un T-Shirt ferait la différence. »

A l’origine, une grève de solidarité contre des licenciements et des baisses de salaire.

Ces 500 dockers, auxquels Robbie Fowler et Steve McManaman apportent publiquement leur soutien, bloquent alors les entrées de la Mersey Docks and Habour Company depuis 545 jours. Une grève commencée le 28 septembre 1995 après qu’une filiale de la compagnie des docks, la société de manutention Torside, ait licencié 85 dockers qui venaient de refuser d’effectuer des heures supplémentaires gratuitement. La solidarité s’est enclenchée et tous les dockers du port se sont mis en grève après que quelques 329 dockers de la compagnie aient refusé de franchir le piquet de grève en solidarité.

«Ici on ne traverse pas un piquet de grève. On ne l’a jamais fait et on ne le fera jamais!» explique un délégué des grévistes à un journaliste de Libération. La loi consevatrice interdisant les grèves de solidarité et les rendant illégalles ne les fit pas changer d’avis. Ne renonçant pas à leur action, tous les dockers ont été licenciés par la compagnie. Ils ont donc décidé en réponse de bloquer les docks. Bien entendu le patronat eut recours aux « scabs », les jaunes, ceux qui viennent casser la grève et en limiter l’impact économique en bossant. Logique du bras de fer et du rapport de force. Mais les grévistes tiennent, unis autour de leur revendication: «Réembauche immédiate de tous les dockers licenciés».

La grève pourtant massive et soutenue internationalement, ne l’est pas par le syndicat principal des dockers, le très réformiste TGWU, dont le chef est pote avec Tony Blair. Cette absence de solidarité syndicale avait pour but d’isoler cette grève. Pour faire face, les dockers ont puisé leur force dans l’immense solidarité qui unit leur communauté. On est souvent dockers de père en fils, on se marrie souvent avec des filles de dockers. On connaît le quotidien de celui qui s’éreinte sur les docks. Il ne triche pas, mais il ne faut pas la lui faire. Quand on annonce qu’on veut restructurer les docks, il sait qu’on va lui demander de travailler plus, pour moins d’argent, pour que les patrons de la compagnie s’engraissent encore et encore plus. Tout le monde le sait. Certains d’entre eux suffisamment vieux, ont connu le système du « pen ». Un enclos dans lequel se postaient les dockers le matin en attendant de savoir ou pas s’ils allaient bosser. Si le contremaître leur tapait sur l’épaule, ils bossaient. Si non, ils rentraient chez eux. L’histoire des dockers, est une histoire de lutte et une tradition de solidarité. Ceux qui ont connu cette période où les dockers étaient journaliers ne le souhaitent à aucun de leurs collègues plus jeunes et rappellent à l’envie que c’est une grève illimitée qui y mis fin en 1967.

Mais dans ces années 90, nous sommes dans l’immédiat après-Tatcher. Une période marquée par l’écrasement des révoltes sociales, des grèves sans fin auxquelles le pouvoir envoya pour seule réponse que les grévistes pouvaient bien crever de faim. Bientôt élu, Tony Blair du Parti Travailliste ne dérogera pas à cette ligne. Les réformes économiques visant à la baisse du coût du travail et à l’affaiblissement des résistances ouvrières seront poursuivies. Mais de ça, aucun dockers n’est dupe.

La grève prend fin en janvier 1998, après que les grévistes aient accepté une ultime offre de la compagnie de verser à chacun d’entre eux une indemnité de licenciement de 30 000 £. Elle aura duré près de 850 jours.

liverpool docks

 

Lire: Quand les footballeurs soutiennent les grèves

 

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Sources et références:

«Let Liverpool Shake» de Julia Zortea pour Article 11.

«La grève oubliée des dockers de Liverpool» par François Sergent, Libération (25/04/97)

Photo Goal.com

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